L’ÉCOLE GUINÉENNE ET LA CRISE DE MORALITÉ.
La dynamique GOUVERNER AUTREMENT n’est possible que si les citoyens se comportent autrement. Rien ne sert à crier matin, midi et soir le désir du changement si nous-mêmes ne fournissons aucun effort pour changer nos habitus. Voici l’un des paradoxe de ce pays, tout le monde veut le changement mais personne ne veut rien changer sur lui.
Très malheureusement, dans notre pays les secteurs qui devraient servir de modèles dans la moralisation de la vie publique sont ceux qui excellent dans la perversion et la bassesse. La justice, le secteur de la santé et celui de l’éducation sont parmi les secteurs les plus pollués de la république. C’est vrai qu’on ne peut pas mettre tout le monde dans le même bateau, mais le comportement de beaucoup d'acteurs de l’éducation ternit gravement l’image du secteur où on trouve par contre des personnes de moralité irréprochable. Nous sommes tous responsables puisque soit nous sommes auteurs, complices ou indifférents.
La meilleure façon de changer les choses c’est de prendre conscience de nos erreurs en tant qu’encadreurs, enseignants, parents d’élèves, syndicats, élèves et étudiants. Cela passe par la dénonciation et la répression des actes malsains commis par des individus de mœurs légères qui, par leurs comportements tirent l’éducation guinéenne vers le bas et font des acteurs de l’éducation des indexés du mal : corrompus, incompétents et irresponsables. C’est donc un devoir patriotique de dire les choses telles qu’elles sont même si nous savons cela ne raisonne pas agréablement dans les tympans suspects. Comme disait l’autre, à quoi sert de prendre la parole en public si c’est pour ne dire que ce qui plaît à tout le monde ?
A travers nos expériences, observations et témoignages oculaires, nous essayons de décrire quelques maux qui minent l’éducation guinéenne, un secteur qui compte près de la moitié de la fonction publique.
I/ LA LÉGERTÉ DANS LE RECRUTEMENT ET LA MAUVAISE QUALITÉ DES ENSEIGNANTS :
Cela va de soit que lorsqu’on ne met pas du sérieux dans le choix de ceux qui sont en charge de façonner les futurs élites et cadres du pays, on met non seulement la carrière des enfants en péril, mais aussi l’avenir de la nation en danger. Ce n’est un secret pour personne que le recrutement, ce n’est pas du recrutement mais du REGROUPEMENT est l’un des plus anarchiques de la fonction publique guinéenne. Les méritants sont souvent écartés au profit de ceux qui donnent leur argent et leur corps aux cadres corrompus jusqu’à la moelle épinière au point que même les ministres savent que l’éducation est devenue une porte d’entrée à la fonction publique. Le plus choquant c’est lorsqu’on constate que les cadres formés à l’ISEC et dans les ENI pour enseigner chôment après leur formation alors que les engagements sans concours d’autres personnes non qualifiées se font régulièrement au niveau de l’éducation. En 2019 des élevés au lycée ce sont retrouvés sur la liste des homologues qui devraient débuter leur carrière d’enseignant à l’université. Ne devient pas enseignant qui le veut mais qui le peut, il faudrait que sens soit donné à cette devise dans la sélection des formateurs et mettre en place une enquête de moralité puisque l’enseignant est avant tout un éducateur.
Lorsque 90 % des charges pédagogiques dans les universités sont assurées par des détenteurs de licence ou de maîtrise, lorsqu’au niveau du primaire vous avez des enseignants qui commettent des fautes même en écrivant la date du jour, lorsque les enseignants donnent en exposé les parties du programme qu’ils ne maîtrisent pas ou les évitent carrément, lorsque dans les université les enseignants qui n’ont écrit aucun mémoire ni article sont ceux qui sont chargés des cours de méthodologie, il ne faut pas s’étonner qu’on produise des diplômés qui ne savent même pas ce qu’ils ont appris durant leur cursus.
II/ LES NOTES : UNE ATTRIBUTION PAR AFFINITÉ SEXUELLE, MATÉRIELLE ET RELATIONNELLE.
Voici l’un des plus grands fléaux du système éducatif guinéen, et si on parle de crise moralité c’est surtout à ce niveau. Les notes sont au centre d’une magouille généralisée du primaire à l’université, elles sont même devenue sources de complément de revenu pour beaucoup d’enseignants. Ce qui est grave c’est qu’elles sont aussi un instrument de chantage sexuel de la part des enseignants d’une cupidité indescriptible qui font exprès de mettre des filles en difficulté pour les obliger à accepter leur avance. C’est un véritable fléau dans les établissements scolaires et universitaires. Beaucoup de femmes et filles de caractère se sont retrouvées avec des mentions pas très honorables qui ne reflètent pas leur valeur à cause du cynisme de certains enseignants juste pour avoir refusé de leur donner leur corps. Un enseignant a le droit d’aimer mais obliger les élèves et étudiantes à vous aimer est une faiblesse morale et constitue un crime contre lequel il est urgent d’agir. Beaucoup de carrières, des opportunités d’études post universitaires sont compromises à cause des faibles notes et mentions injustement attribuées à des étudiantes et étudiants qui méritaient mieux. Nous proposons à ce niveau la mise en place d’un comité d’éthique et de déontologie dans les établissements qui soit en mesure d’examiner sans complaisance ni parti pris des plaintes contre le chantage sexuel et d'autres facteurs d'injustice contre les élèves et étudiants. Œuvrer à ce que la parole se libère pour que la peur change de camp. Renforcer les mesures de répression allant jusqu’à l’exclusion et des poursuites judiciaires contre les cadres qui s’adonnent à cette pratique honteuse qui a fait d’énormes victimes.
Dans les classes intermédiaires les compositions de fin d’année ne sont que des formalités, le passage en classe supérieur est systématique. Les parents d’élèves, élèves et encadreurs sont complices. Il arrive que même si l’enseignant attribue une note, la direction peut en donner une autre sur fond d’arrangement malsain.
Au secondaire, les exposés et des séances de révisions obligatoires font partie des stratégies d’extorsion d’argent et d’objets en nature. Un élève qui ne participe pas au groupe de révision d’un professeur n’aura pas la moyenne dans sa matière, c’est un fait connu. Les notes des exposés dépendent de la qualité de boisson que les élèves apportent le jour de l’exposé, si vous donnez du jus SAGIGO ou VIMTO, vous aurez la bonne note quelle que soit la qualité de la communication. Les exposés sont des mini banquets destinés à remplir le sac de professeur en boisson que d’initier les élèves à la recherche et à la prise de parole.
Dans les universités il y a système de clan autour des professeurs basé sur des considérations subjectives selon l’appartenance communautaire, familiale ou du « petit et grand » entretenu par des professeurs de faible niveau qui ne se maintiennent que par une telle stratégie. Ils sont parfois généreux envers les étudiants qui pour la plupart n’apprécient pas des professeurs rigoureux et honnêtes. Le seul moyen pour eux d’être populaires c’est d’organiser des évaluations fantaisistes. Par exemple une même note pour tous les membres d’un groupe d’exposé sans ternir compte de la contribution de chacun ; ou encore attribuer par paresse une même note à toute une rangée représentée par un étudiant ou une étudiante.
Les sessions de rattrapage sont aussi source de marchandage organisé par des professeurs qui passent par des chefs de classe. Parfois certains payent jusqu’à 500 000 à 1000 000 pour éviter une dette académique. La substitution des copies d’évaluation, une pratique qui consiste à demander à l’élève ou l’étudiant qu’on souhaite aider de déposer un autre traité si celui de l’évaluation proprement dite ne peux pas lui garantir une bonne note.
Une autre forme de chantage s’organise autour des brochures élaborées par les professeurs que tout le monde doit acheter, le plus souvent on a la liste des étudiants qui achètent la brochure, si vous ne figurez sur cette liste, préparez-vous à affronter le professeur en session, là vous payez 10 fois plus cher.
Vous êtes parfois étonné de voir des élèves ou étudiants qui ne totalisent même pas 30 % de présence terminer l’année parmi les admis avec mention ou obtenir des diplômes de fin d’études avec mention. Le plus souvent ce sont des étudiantes et étudiants qui viennent en classe pour montrer leur forme et leur collection. On a l’impression d’être en défilé de mode.
S'agissant du comportement de certains élèves et étudiants, c'est tout simplement regrettable de constater la crise de socialisation dans les familles produit ses effets dans les établissements scolaires et universitaires. Le phénomène de clan, a pris une autre ampleur. Les jeunes mal inspirés et mal encadrés dans la famille sont incontrôlables et arrivent jusqu'à s'attaquer physiquement aux professeurs. C'est pour cela nous parlerons prochainement de la crise de socialisation dans les familles en Guinée et son impact sur la société et la carrière des jeunes.
IV/ LES EXAMENS NATIONAUX : UNE AFFAIRE DE RETRO-COMMISSION ET DE MARCHANDAGE :
Les DPE et leurs SAF en savent beaucoup. Le comportement des surveillants ne doit pas surprendre puisque leur choix obéit à une obligation de redevabilité vis-à-vis de ceux qui mettent leur nom sur la liste. Pour être retenu, la plupart des surveillants aux différents examens sont obligés à reverser jusqu’à 50 % de leurs primes aux responsables de la DPE et DCE. Ceux qui respectent ce deal sont parfois retenus pour tous les examens de fin d’année. Les récalcitrants se voient tout simplement écartés pour la suite des activités et pour des années qui suivent. Certains enseignants sont tout simplement exclus du processus à cause de leur refus de verser des retro-commissions.
Amputés de leur primes, ils adoptent un comportement de protecteurs des candidats que des agents qui doivent empêcher des fraudes. Ainsi il existe depuis longtemps dans les salles d’examen une commission de collecte de cotisations. Ce n’est pas une aberration de dire que c’est une tradition au point que les enseignants retenus pour la surveillance sont contents puisqu’ils en sortiront poches remplies et tant pis pour la crédibilité du processus. Au début de chaque journée d’examen avant le lancement des épreuves, les candidats cotisent de l’argent qui sera versé aux surveillants qui attendent cela. Ils deviennent ainsi surveillants des superviseurs si ceux-ci ne sont pas complices et protecteurs des copistes. Beaucoup de ma génération peuvent témoigner de cela. Si un surveillant te dit que les examens se sont bien déroulés ce n’est pas par rapport au devoir accompli mais par rapport à ce qu’il a pu empocher de la part des candidats.
Ce qui fait mal, c’est que tout le monde fait semblant de ne pas être au courant de rien alors que tout le monde le sait et en profite d’une manière ou d’une autre. Les personnes courageuses qui dénoncent sont plutôt les cibles des rancœurs et de méfiance. A un certain moment il faut une introspection, une prise de conscience et faire violence sur nous-mêmes pour que les choses changent positivement.
Pour changer les choses, beaucoup parlent souvent de l’organisation des états généraux de l’éducation, mais en réalité les problèmes sont connus même par ceux qui ne sont pas concernés par l’école. Si ce sont les mêmes acteurs qui sont à l’origine des problèmes qui doivent se réunir pour proposer des options à explorer, je suis très pessimiste quant à l’issue d’une telle démarche. Le problème c’est la probité morale et intellectuelle, la carence patriotique, l’hésitation à prendre les mesures impopulaires contre les acteurs d’un secteur puissant dont la colère peut sécher le sommeil des autorités politiques.
Nous estimons qu’un appel d’offre international afin de sélectionner un cabinet ou une structure indépendante qui aura pour mission de faire un audit approfondi du système éducatif guinéen qui s’effrite année après année. Je suis souverainiste mais je ne suis pas contre le fait qu’on fasse appel aux partenaires qui ont des meilleurs systèmes éducatifs comme le Rwanda ou le Maroc à nous aider à redresser le nôtre.
La volonté d’un président, d’un ministre, d’un recteur ou de n’importe quel haut cadre de l’éducation ne servira à rien si on n’opère pas une réelle révolution mentale et amorcer une rupture totale avec les anciennes pratiques.
D’aucuns diront que le traitement salarial est un facteur d’accentuation des incivilités au sein de l’éducation. Mais il faut savoir qu’être enseignant, médecin ou juge est un choix, on sait qu’on n’y vient pas pour être richissime ou magnat. D’ailleurs, en général, la fonction publique ou tout simplement le salaire ne rend pas riche sauf ceux qui s’inscrivent dans une logique de corruption. Si on n’est pas en mesure d’honorer correctement son devoir de fonctionnaire le mieux, c’est de démissionner et envisager une reconversion professionnelle ! Cela dit, si le salaire ne permet pas à son bénéficiaire d’être à l’abri du besoin, il succombe à toute tentation de corruption, de complicité ou d’indifférence.
Effectivement, nous estimons que la revalorisation des traitements est le premier facteur de motivation et d’incitation aux bonnes mœurs administratives et professionnelles. Comment comprendre qu’un professeur d’université par exemple après plus de 20 ans de service ne touche pas plus de 500 dollars par mois alors que les débutants au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Niger touchent au-delà de 1000 dollars ? Pourtant on n’est pas aussi pauvre, notre PIB a doublé.
Pour autant il faut reconnaître les efforts ces dernières années, car depuis 2010 il y a une augmentation significative des salaires et une revalorisation des primes pour les agents de la fonction publique. Au regard des besoins et le coût de la vie, ces augmentations sont insuffisantes pour pouvoir marquer la conscience des fonctionnaires en général et ceux de l’éducation en particulier. Pendant ce temps un député avec toutes les primes touche autour des 3000 dollars par mois.
L’argent ne manque pas pourtant, mais une poignée de hauts cadres se répartissent des subventions comme des bénéfices commerciaux. Vous trouvez des recteurs et les membres du pool financier des universités, les multimilliardaires par le détournement des subventions. Pas de subvention pour la recherche, ce qui fait que les enseignants chercheurs de Guinée sont parmi les moins productifs au monde, ils sont presque absents de tous les grands rendez-vous scientifiques (colloques, conférences et congres internationaux). Pendant ce temps des cadres en formation souffrent du martyr à l’extérieur tirant le diable par la queue et nos responsables se font du plaisir lors des week-ends paradisiaques dans les hôtels luxueux en Guinée ou ailleurs. Ils financent les études de leurs enfants et entretiennent leur famille dans les fonds alloués pour financer la recherche et la formation des enseignants. Où est la moralité ?
L’État n’a jamais été sérieux dans la répression des délits financiers au sein des institutions de l’éducation, sinon en 2018 on a déniché 40 000 étudiants fictifs dont les bourses étaient payées. Aucun suspect, aucune sanction, aucune poursuite, ni même un simple avertissement.
Les syndicats de l’éducation sont toujours prompts à élever la voix quand il s’agit d’augmentation de salaire, de la revalorisation des primes, bref de l’amélioration des conditions de vie des enseignants. Jamais ils ne sensibilisent contre ces comportements immoraux qui polluent le système pourtant connus de tous.
En définitive, le gros problème de ce pays réside dans la carence patriotique manifeste ; les gens se comportent comme s'ils le regrettent d'être guinéens. Un passif des 24 années des gestion anarchique du régime militaire qui nous a mis au fond d’un trou dont on ne se relèvera pas avant au moins trois décennies, car, tout est question de mentalité. Or, on ne change pas la mentalité d’un peuple comme on changerait la peinture d’une maison. On a été habitué à la corruption, à la facilité, au trafic d’influence, à la malhonnêteté, à la paresse à la primauté du matériel, à l’exaltation de la médiocrité, au rejet de la rigueur et de la compétence. Malheureusement ces comportements ont tendance à se pérenniser et s’amplifier.
C’est pour cela que nous proposons de revoir notre modèle socialisation formelle de l’école primaire à l’université en y intégrant des modules d’inculcation des valeurs patriotiques par la promotion des services civiques dans les écoles et en imposant le service militaire obligatoire à tous les sortants de l’université. Quoiqu’il en coûte, ceci est une urgence si on veut s’attaquer à la racine du mal. La répression judiciaire ou policière n’est qu’un complément et n’ont aucun sens dans un pays où l’impunité règne. Le combat contre les mauvaises mentalités se livre et se gagne dans le modèle de socialisation qui façonne les citoyens.
Moustapha I KALLO
sociologue, démographe et agro-économiste,
Certifié du management des administrations,
Assistant de recherche,
Fondateur du mouvement Initiative Citoyenne d’Actions Patriotiques (ICAP-GUINÉE ).